Quelle rencontre particulière que celle-ci, pour une émission d’histoire avec un grand H mais aussi d’histoires plus intimes, familiales. Je vais vous en raconter une que je connais puisque c’est la mienne.
Pendant la grossesse de ma compagne, nous réfléchissions au prénom de notre fils, comme beaucoup. Un jour, mon père m’écrit pour me proposer le prénom de Robert… Vu que mon fils allait naître en 2017, je lui réponds gentiment « non merci », mais je lui demande aussi pourquoi il veut que son petit-fils s’appelle ainsi – je rappelle que nous en sommes en 2017 et que plus personne n'appelle son enfant Robert depuis le milieu du siècle dernier !
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Et là, il me raconte un bout d’histoire de son père. Juif allemand, à peine majeur, s’échappant du camp de Drancy après que sa mère et sa grand-mère furent déportées, il arrivait dans le sud de la France pour se cacher. Un après-midi, dans le hall d’un cinéma, un solide gaillard à peine plus âgé que lui vint le voir et l’alpague : « -T’es juif toi non ? Tu te caches ? Mon grand-père lui dit que oui. De toute façon, rien ne sert de mentir. – Alors, viens avec moi, je vais te planquer et je te ferai passer en Espagne. »
Le jour du transfert, le 4 juin 1943, ils sont plusieurs à s’être donné rendez-vous et à attendre le grand gaillard qui commence par être en retard. Mon grand-père s’impatiente et va tuer le temps chez le coiffeur. Et le grand gaillard ne viendra finalement jamais. Il a été arrêté sur dénonciation et sera fait prisonnier à la Citadelle de Perpignan puis déporté dans le camp de Mittelbau-Dora, à l’automne 1943. Il décédera en avril 1944. Il n’avait pas 24 ans.
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Mon grand-père retournera se cacher dans la famille de ce grand gaillard, qui avait une petite sœur. Il l’épousera et lui donnera deux fils. Ce grand gaillard s’appelait Robert Bonneau et il était devenu mon grand-oncle.
Grâce au travail de Laurent Thiery, et à celui de ses collaborateurs bénévoles, professeurs pour la plupart, et ce livre « Le livre des 9000 déportés de France à Mittelbau-Dora », mon fils, dont Robert est le deuxième prénom – parce que bon, l’histoire est jolie mais Robert en premier prénom c’est juste pas possible – pourra connaître l’histoire de son arrière grand-oncle et la transmettre à son tour.
Grâce à ce travail, 8 971 familles pourront, elles aussi, remplir les trous de leurs histoires, expliquer pourquoi telle ou telle photo a toujours été sur la cheminée, briser des silences.
Grâce à ce travail, ces familles ne seront plus seules chacune dans son coin mais pourront former une communauté.
Grâce à ce travail, des milliers de mémoires resteront vivantes.
Laurent Thiery est historien. Je le remercie pour ce travail.
Pour aller plus loin : https://www.lacoupole-france.com/centre-de-ressources/dictionnaire-biographique-des-deportes-dora