“Les exemples de bateaux de cette période et de ce type se comptent sur les doigts d’une main en France et en Europe”, explique Laurent Grimbert, responsable d’opérations sur le chantier de l’INRAP, l’Institut national de recherches archéologiques préventives, qui s’est tenu cet été à Villenave-d’Ornon, près de Bordeaux. Un chantier qui présente un double intérêt pour l’archéologue, celui de la rareté de l’embarcation, mais aussi de l’étude de la disparition d’un paysage, à savoir ce lit de rivière qui n’existe plus aujourd’hui.
Ce qui se révèle être un voilier de 12 mètres de long sur 5 de large a, en effet, été retrouvé à 300 m de la Garonne, enfoui dans le lit d’un ruisseau, milieu propice à la conservation des éléments organiques. “On peut imaginer qu’il servait de petit port”, raconte Laurent Grimbert. “A marée haute, le bateau pouvait remonter le ruisseau jusqu’au fleuve, tandis qu’à marée basse, il reposait sur le fond.”
Par ailleurs, des graines de céréales, de plantes cultivées bien au sud de la Gironde ont été retrouvées à bord, ce qui permet de penser que le bateau pouvait charger des cargaisons depuis la Méditerranéenne.
Une référence en la matière
“Ce bateau a beaucoup de choses à nous raconter”, s’enthousiasme l’archéologue. Les études des pollens présents dans les sédiments qui le recouvrent vont donner des indications sur le milieu dans lequel il évoluait. Était-ce un milieu ouvert, comme aujourd’hui ? Y avait-il plus d’arbres ou moins d’arbres ? Y avait-il des cultures à proximité et lesquelles ? Des études lancées systématiquement lors d’une fouille, et qui vont livrer des informations précieuses sur l’environnement immédiat du bateau et comment celui-ci s’est transformé au fil du temps.
Des découvertes qui vont pouvoir servir de références puisque les spécialistes ont, pour l’heure, peu d’éléments de comparaison en la matière. “On ne pourra pas tout déterminer, mais ça pourra nous donner des pistes intéressantes.”
Une fois chaque pièce du bateau minutieusement démontée, enregistrée, numérotée, photographiée et stockée dans un bassin, pour les protéger, les spécialistes pourront passer à la phase d’analyse. “Chaque pièce de bois nous raconte son histoire.” Avec quels outils a-t-elle été construite ? Quelles sont les essences de bois utilisées ? L’étude des cernes des bois, la dendrochronologie, va également être d’une aide précieuse.
À la croisée des chemins et des époques
Un vestige d’un grand intérêt aussi puisque son existence et son utilisation se situent à la croisée de plusieurs éléments, à une croisée chronologique, entre le monde antique et le monde médiéval, et une croisée géographique, puisqu’on se situe à mi-chemin entre la Méditerranée et le monde nordique, où on ne construit pas les bateaux de la même manière.
Un moment fort dans la vie d’un archéologue. “C’est passionnant. Un mur, par exemple, nous indique la présence d’une maison. On peut imaginer qu’il y a des gens qui ont vécu dans la maison, mais un bateau a voyagé, des gens ont vécu à bord, on peut retrouver des traces d’outils, de céramique qui leur ont peut-être servi de vaisselle. C’est particulièrement émouvant. Et puis, le bois est une matière qu’on rencontre très peu en archéologie. Là, le vestige est intact. Pour un archéologue, ce n’est pas commun de se concentrer comme ça sur un seul objet.”
Une découverte que l’équipe aimerait voir exposée au public dans un musée à l’avenir. Un rêve qui dépendra du budget qui pourra être alloué, afin de permettre l’opération de conservation des bois, sans quoi tout peut partir en poussière très rapidement, et qui s’avère très vite coûteuse. En attendant, on peut admirer le travail des archéologues sur le site de l’Inrap.