Originaire de Gennevilliers, en région parisienne, Lamya Essemlali mène depuis presque deux décennies une lutte contre les activités illégales en haute mer avec l’ONG Sea Shepherd, fondée en 1977 par Paul Watson.
La militante écologiste se dévoue pour la préservation des espèces marines et de cet océan qu’elle a tant apprécié retrouver dans sa jeunesse lors de vacances en famille, chaque été, au Maroc. Un milieu sauvage qu’elle considère comme “un symbole de liberté qui lui fait du bien”. Aujourd’hui, elle est présidente de l’antenne Sea Shepherd France, qu’elle a cofondée.
Airzen Radio. De quelle façon agit Sea Shepherd et quelles sont les missions de l’association ?
Lamya Essemlali. Cette ONG de défense des océans a un ADN particulier, celui de l’intervention directe, de la non-compromission, et organiser des missions qui sortent des sentiers battus. Sea Shepherd s’est fait notamment connaître après avoir fait couler des baleiniers sans ne blesser personne, et en ayant confisqué des milliers de kilomètres de filets illégaux. On fait beaucoup de missions, comme celle en Antarctique qui a duré 14 ans. C’était contre la chasse baleinière japonaise. Et, grande victoire : le Japon a finalement arrêté de chasser les baleines dans cette zone. On travaille aussi sur le massacre de dauphins aux Iles Féroé, le braconnage de tortues à la machette à Mayotte.
En parallèle, on a aussi un rôle de lanceur d’alerte. Récemment, Sea Shepherd a également lancé un centre de soins animaliers en Bretagne. C’est le premier de l’organisation, mais on n’a pas encore réellement communiqué là-dessus.
Qu’est-ce qui vous a poussée à cofonder l’antenne française de Sea Shepherd ?
La rencontre avec Paul Watson m’a donné envie d’aller sur le terrain. Je me suis retrouvée en Antarctique, notamment pour la campagne qui visait à s’opposer aux baleiniers japonais qui tuaient illégalement les baleines dans un sanctuaire international. On s’est retrouvés cet hiver-là, en 2005, 45 personnes à faire opposition avec très peu de moyens. La saison de la chasse dure quatre mois, mais on avait suffisamment de fonds pour tenir deux mois. Alors, on a éteint les chauffages pour économiser du carburant. Malgré ça, on a dû rentrer à quai, car on n’avait plus ni argent ni carburant. Pendant deux mois, les baleines sont restées seules face aux baleiniers et ça m’a bouleversée de voir qu’on n’est pas arrivés à aller au bout à cause du manque de financement et de carburant. Je me suis dit qu’il fallait que je fasse passer le message en France.
De retour en France, en 2006, vous créez Sea Shepherd France…
Oui, il fallait lever des fonds pour mener ces campagnes. Et, en même temps, je pensais que l’antenne française allait rester au stade embryonnaire, parce que le modus operandi de Sea Shepherd fondé par Paul Watson, c’est vraiment sortir des sentiers battus, être dans l’intervention. Il faut dire qu’à l’époque, en France, le mouvement écologiste était plus timoré. Je pensais qu’on allait nous regarder comme des fous et finalement pas du tout. Assez vite, l’antenne a grossi de manière surprenante. Et, chose importante que je ne savais pas à l’époque, c’est que la France possède la deuxième surface maritime mondiale avec 11 millions de mètres carrés sous notre juridiction. Ce qui implique une énorme responsabilité. Et, à côté de ça, malheureusement, le peuple français est profondément déconnecté de l’océan.
D’où vient cette déconnexion selon vous ?
Je pense que ça doit être culturel, mais ce n’est pas une fatalité. Je cite souvent le navigateur français Eric Tabarly. Il disait : “Pour les Français, l’océan, c’est le machin qu’ils ont dans le dos quand ils étalent leur serviette de bain sur la plage.”. Aujourd’hui, on constate, et pas qu’en France, que le rapport à la vie marine passe par le mort qu’il y a dans les assiettes. On est déconnecté de tout cet organisme d’où nous venons, qui est fascinant, fragile que nous en sommes en train de dévorer. La surpêche est la première menace de la survie de l’océan.
Après, je ne parle pas des pollutions plastiques, sonores, du changement climatique. Ça peut paraître vertigineux quand on liste l’ampleur des problèmes, parce qu’on ne sait pas par quel bout prendre les choses.
Justement, que répondez-vous quand on vous demande ce que l’on peut faire pour agir ?
Outre le fait de faire un don à Sea Shepherd (rire), car on ne vit que de ça, c’est de se poser la question : est-ce que le poisson qui est dans mon assiette est d’une nécessité vitale ou non ? S’il ne l’est pas, clairement, le meilleur service que vous puissiez rendre à l’océan est de lui laisser ses poissons. Après, il y a aussi les engins de pêche et les filets qui sont la première cause de mortalité des mammifères marins comme les baleines, les dauphins, les phoques… Ils sont capturés par centaine de milliers. On considère l’océan comme un garde-manger, un gisement d’énergie fossile, des espaces à exploiter. La racine du mal est dans cette déconnexion.
Pour quelles raisons faut-il préserver l’océan et ses espèces ?
Parce que si l’océan meurt, nous mourrons. C’est le premier organe de régulation du climat, le premier puits de carbone. Aussi, c’est de l’océan que vient l’essentiel de l’oxygène que nous respirons, donc on ne vivra pas sur cette planète avec un océan mort. Et puis, les baleines font partie de ces espaces qui ont un gros capital sympathie alors, si on n’arrive pas à les sauver, ça signifie qu’on n’arrivera à rien sauver d’autre dans l’océan.