Trésor national, la Manufacture de Sèvres est une véritable institution française. Elle est, depuis 280 ans, la garante des savoir-faire et des connaissances sur l’art céramique. Avec l’aide de Juliette Laurens, polisseuse de bleu au sein de la Manufacture, nous avons pu tendre notre micro à des artisans et découvrir quelques-unes des nombreuses étapes de la création d’objets en porcelaine.
Située d’abord à Vincennes, en 1740, dans une tour du château royal, sous le règne de Louis XV et l’influence de Madame de Pompadour, favorite du roi, la manufacture telle qu’on la connaît aujourd’hui a été déplacée en 1756 à Sèvres, à l’orée du Domaine de Saint-Cloud. Entre bouillon citadin et écrin de nature, l’usine emblématique crée, conçoit et préserve le secret de la précieuse céramique : “[La Manufacture] a été créée, car, à cette époque, les porcelaines qui étaient en France étaient importées de Chine. […] On les importait, car on ne savait pas comment faire de la porcelaine”, explique Juliette Laurens. La raison est simple : un ingrédient tenu secret par les Chinois peinait à être découvert par les Français.
Il s’agit du kaolin, découvert près de Limoges grâce à deux chercheurs de la Manufacture, Pierre-Joseph Macquer et Robert Millot. Aujourd’hui, le gisement a été exploité jusqu’à son tarissement et le kaolin provient en partie d’Angleterre.
Pour que cette porcelaine existe, elle a besoin de deux autres ingrédients supplémentaires, le feldspath et le quartz. Le dernier ingrédient permet notamment d’apporter cet effet vitrifiant : “Parce que la particularité de la porcelaine, c’est d’être translucide. C’est-à-dire que quand on le met devant la lumière, c’est à peu près comme si on mettait une feuille de papier. On peut voir au travers les ombres. C’est le quartz qui permet cette translucidité.”
De la transformation à la décoration : les étapes de création de la porcelaine
Répartis en 27 ateliers et une trentaine de métiers, c’est une véritable usine d’artisans qui est placée sous la tutelle du ministère de la Culture. Son rôle est de préserver, transmettre et innover dans sa production de porcelaine depuis près de trois siècles. Ainsi, Juliette Laurens nous a guidés au sein de quelques ateliers de la Manufacture. Construits comme une petite ville, les différents bâtiments de la Manufacture sont séparés par des noms de rues.
Première étape : le moulin. Un endroit rempli de machine et de cailloux qui, comme son nom l’indique, broie les éléments à l’aide d’un moulin. “Avec ses grosses meules en granite, on écrase les cailloux, qui vont nous permettre d’obtenir un sable et de faire les mélanges avec l’ensemble des matières”, explique Thierry, chef du moulin depuis 30 ans.
À la fin des différents procédés exécutés au moulin, la pâte à porcelaine est envoyée – de texture différente en fonction des usages- dans les ateliers agréés. Pour les ateliers de moulage, tournage ou calibrage : “On a besoin de pâte malléable […] on appelle ça des galettes de porcelaines que l’on stock à la cave et on les laisse vieillir. La porcelaine c’est comme le fromage il faut l’affiner !” s’amuse l’expert.
De la qualité plutôt que de la quantité
Il faut ensuite créer la forme souhaitée. Tous ces différents procédés demandent le savoir-faire de plusieurs artisans. Une fois conçue et cuite, puis émaillée, la pièce sera marquée. Les marques de porcelaine de Sèvres permettent d’identifier les dates de fabrication et de décoration, la pâte utilisée et les céramistes qui ont participé à la réalisation de la pièce. La signature des créateurs contemporains y est généralement apposée.
L’un des derniers maillons de la chaine consiste à corriger toutes les “coquetteries” observées sur la porcelaine. C’est le métier de Juliette Laurens, polisseuse de bleu. Les défauts observés sont sur l’émail blanc, mais aussi et surtout sur le bleu de Sèvres qui peut rapidement avoir ce que l’on appelle de la “métallisation”, “un effet un peu essence, métallique”, qui se dépose sur le bleu, après toutes les étapes de créations, cuissons.
L’une des qualités essentielles à cette tâche est l’observation : “C’est pour ça qu’on a une belle lumière qui vient du nord. Mais pas trop ensoleillée. C’est très important, car le bleu de Sèvres a plein de reflets.” Une étape finale cruciale, qui “pour le commun des mortels ne serait pas un défaut mais avec la qualité et l’excellence que l’on se doit d’avoir à la Manufacture, on doit enlever ce type de chose”.