Déborah Gay est maîtresse de conférence en sciences de l’information et de la communication à l’Université Toulouse – Jean Jaurès. Elle travaille sur tous les objets médiatiques, notamment la télévision, la radio ou les webséries, et est notamment spécialisée dans les questions de genre. D’après ses recherches, les femmes sont encore largement sous-représentées dans les médias. Interview.
AirZen Radio. Déborah, vous avez été journaliste avant d’être chercheuse. Avez-vous remarqué, à titre personnel, une différence de traitement entre vous et des journalistes hommes ?
Déborah Gay. J’aurais aimé dire non, être jugée sur mes qualités professionnelles, et non pas sur mon genre. Oui, la radio est le média le plus discriminant à la fois en tant que journaliste, mais aussi vis-à-vis des invités. Il n’y a que 30% de femmes à l’antenne, c’est moins bon qu’en télé ou dans la presse écrite.
Comment peut-on l’expliquer ?
C’est d’abord historique. C’est un média qui est ancien. Jusque dans les années 20, la radio ne rapportait pas d’argent. Les femmes avaient le droit de s’y exprimer. On estimait, qu’après tout, ça pouvait les occuper. Puis, avec la crise, quand les annonceurs ont commencé à s’y intéresser, les hommes s’en sont emparés, prétextant que les voix des femmes passaient mal sur les ondes. Depuis, même avec le retour des femmes à l’antenne, on enseigne aux étudiantes, dans les écoles de journalisme, à parler avec une voix plus grave.
Deuxième raison : plus un sujet fait l’actualité, plus on invite par réflexe des hommes. Il y a déjà les cercles de connaissances. Les journalistes hommes connaissent plus de monde et, de fait, les hommes étant mieux placés dans la plupart des secteurs, le réflexe est de les contacter, eux, en priorité.
Selon l’Arcom, les femmes occupent 43% de temps de parole. Va-t-on vers le mieux ?
Attention, il faut prendre ces chiffres avec des pincettes. C’est du déclaratif, des données fournies par les rédactions elles-mêmes. Pour calculer les temps de parole sur une matinale de radio, par exemple, il faut plus d’une journée de travail. Les rédactions n’ont pas le temps pour ça et fournissent donc, souvent, des données au doigt mouillé. En réalité, on est plus autour des 30%. Et la crise du Covid n’a pas aidé. Subitement, on a décrété que les médecins, les scientifiques ne devaient être que des hommes. Les femmes ont été renvoyées dans la sphère du soin ou du foyer dans les interviews.
Que peuvent faire les rédactions pour éviter de tomber là-dedans ?
Les solutions existent, je vous l’assure (rires). Les expertes, elles-mêmes, se sont emparées du sujet. Pendant très longtemps, à cause de cette question d’homosocialité (le fait d’être proche des gens qui nous ressemblent, NDLR), les journalistes disaient qu’ils ne connaissaient aucune femme experte, scientifique, chercheure, universitaire. Pourtant, elles sont là. Elles ont créé un annuaire, Les Expertes, qui permettent aux rédactions d’en contacter plus. Et j’encourage à le faire sur des sujets « chauds ». En Angleterre par exemple, la BBC a mis en place le fifty-fifty : aucun reportage ne peut être diffusé s’il n’y a pas autant d’hommes que femmes interviewés. Idem en Italie : impossible d’avoir une émission ou un plateau avec un panel 100% masculin. Ce que l’on voit souvent en France.