Eva Byele a toujours été passionnée d’orientalisme, par la beauté des peintures, la puissance des œuvres. Elle découvre un jour les écrits de Fatema Mernissi, une sociologue marocaine née en 1940 à Fès, dans un harem, domestique celui-ci, c’est-à-dire où un homme très riche possède plusieurs femmes. Elle aura passé sa vie à déconstruire, dans ses romans et ses essais, la vision orientaliste faussée du harem, où les femmes, lascives et consentantes, rivalisent pour arriver à leurs fins. Une rencontre avec la sociologue qui bouleverse Eva Byele et fait émerger cette héroïne, Cléromyde, qui allait utiliser le harem pour son propre compte.
Cléromyde est franco-andalouse. Elle est enlevée sur un bateau et menée dans un harem. Dans “Le Palais des délices”, paru aux éditions Les bruissements de l’âme, nous allons suivre ses pas alors qu’elle découvre cette vie entre femmes et la sororité, malgré les intrigues et la violence. Elle va vivre des amours plurielles qui seront une véritable découverte d’elle-même, de la volupté.
Le corps comme outil d’émancipation
“Je ne voulais pas être dans une logique de concurrence entre femmes, rapporte Eva Byele. Je voulais montrer aussi comment les femmes ont cette capacité ancestrale de s’entraider, de soigner ensemble les traumas, les souffrances. La vision que nous avons du harem a été complètement liée aux orientalistes, souvent aux hommes, peintres ou écrivains, qui ont pu le décrire, en montrant ces femmes comme si elles étaient consentantes et uniquement réduites à des objets sexuels. Pour moi, c’était très important de prendre le contrepied de tout cela, de montrer une femme qui utiliserait cet espace de séquestration ou d’enfermement pour elle-même, pour se découvrir, découvrir sa relation aux autres femmes, ses talents, son corps, le plaisir. Pour moi, l’écriture des femmes est liée à la possibilité de parler de leur plaisir sexuel.”
Une notion de consentement beaucoup plus présente dans le débat aujourd’hui depuis le tremblement de terre #MeToo et qui revient en permanence dans le livre puisque que l’héroïne se demande à chaque instant si elle a envie, si elle est prête. “Le consentement, c’est d’abord un rapport à soi-même avant d’être un rapport à l’autre. C’est-à-dire connaître ses propres limites, se demander si on les respecte”, précise Eva Byele.
Pour elle, il y a quelque chose de révolutionnaire, même dans le fait de connaître son corps, justement ce dont on a privé les femmes pendant des siècles, de la connaissance d’elles-mêmes, aussi bien intellectuelle que physique. “Le pouvoir passe par la connaissance de soi et par la connaissance de son propre corps, de son désir.”
Rendre hommage à l’intelligence des femmes, au génie des femmes, à l’écriture des femmes était essentiel pour l’écrivaine. Cette héroïne, instruite et poétesse, est une femme qui pense, qui pense sa condition et celle de ses sœurs.
Un conte universel
À Istanbul, il est toujours possible de saisir l’essence de ces lieux et les sentiments qui ont pu traverser ces femmes, au harem de Topkapi, un harem royal gigantesque et magnifique, même si aujourd’hui il s’agit plutôt d’un musée. “On déambule dans les salles où les femmes ont vécu. Donc il y a quelque chose de très fort qui m’a aidée à m’imaginer ce conte”, raconte Eva Byele, qui s’est également inspirée de l’Alhambra de Grenade, en Andalousie, et du palais de Tozeur, en Tunisie. “Tous ces endroits ont été déterminants pour m’aider à imaginer ce que pouvait être la vie de ces femmes.”
L’intrigue se tient à une autre époque, mais le sujet n’a pas d’âge. C’est pourquoi le conte était le medium idéal pour l’inscrire dans cette dimension intemporelle et universelle. “On peut imaginer, qu’il y a des siècles, ces réflexions et ces questionnements étaient déjà présents. Aujourd’hui, c’est toujours le cas, même si ça a évolué sur énormément de sujets. Mais on sait combien c’est fragile aussi. Ces sujets-là sont essentiels. Il faut en permanence en reparler.”
“Le Palais des délices” vient de paraître aux éditions Les bruissements de l’âme, en version Kindle ou papier.