C’est un métier qui permet de faire le pont entre le monde des sourds et celui des entendants : interprète français/langue des signes française. Ce métier, Karine Thénard, 31 ans, l’exerce depuis près de 10 ans. Ajourd’hui, elle est installée en Gironde. C’est par hasard qu’elle découvre cet univers à 14 ans. « À l’époque, ma mère était un peu désespérée de me voir faire aucune activité, dit-elle en souriant. J’ai dû voir un reportage sur ce sujet. On m’a inscrite à un atelier. J’ai donc rencontré mon prof de langue des signes, Yannick Loison, qui est une personne sourde. Il m’a intégrée à sa communauté et je me souviens des émotions que j’ai ressenties. Quand mon père est venu me chercher, je lui ai dit : « Je veux devenir interprète ». » Une vocation était née.
Depuis, Karine Thénard a évolué au contact de personnes sourdes dont elle ne connaissait rien de leur quotidien. Elle a longuement étudié la langue des signes et a obtenu son diplôme. « C’est comme lorsqu’on devient interprète en bulgare, en italien ou en arabe. Il y a quatre-cinq formations en France. J’ai suivi celle de Toulouse, qui la particularité de déboucher sur un double diplôme. On est interprète français/langues signes française, mais également traducteur anglais-français. Là, il s’agit d’écrit. »
Différentes interventions interprétations
La jeune femme a alors mis ses compétences au service d’un centre relais téléphonique, en tant que salariée. Il s’agit d’un service qui permet notamment aux personnes sourdes de recevoir et de passer des appels en présence d’un interprète. Elle consacre la majeure partie de son temps en tant qu’indépendante. Elle peut être sollicitée par des employeurs pour des réunions, des conférences, etc. mais aussi des particulières pour aller chez le médecin.
Par ailleurs, étant inscrite sur une liste en tant qu’experte judiciaire à la cour d’appel de Bordeaux, la police, la gendarmerie, les avocats peuvent l’appeler. Depuis plus d’un an, elle intervient aussi une fois par mois dans le tout jeune service de permanences juridiques gratuites destinées aux sourds au tribunal judiciaire de Bordeaux. Autant d’activités qui lui imposent d’avoir une vie professionnelle très organisée et qui met aussi en relief une problématique : celle du manque d’interprètes. Elle a d’ailleurs été sollicitée à Anglet et à Lyon, mais a dû refuser.
« On ne sait pas combien on est, confie-t-elle. Il y a une campagne de recensement menée par des interprètes parce qu’on n’a pas de chiffres. On estime être à peu près 500 en France. En revanche, j’ai remarqué, tout ou long de ma jeune carrière, qu’il y en a beaucoup qui arrêtent. Il reste généralement entre trois et cinq ans. » Et pour cause, Karine Thénard met en avant la difficulté de ce métier, qui nécessite une extrême concentration pour faire l’interprétation dans les deux langues, et différents déplacements.
Une communauté sourde hétérogène
Une autre inconnue aussi dans l’équation, celle du nombre de personnes sourdes. « Il faut bien comprendre que ma clientèle est une minorité d’une minorité, souligne Karine. Il y a des personnes sourdes ou malentendantes, mais il faut enlever toutes les personnes âgées. Parmi les sourds pathologiques, il y a de sourds oralistes, qui ont fait une rééducation avec un orthophoniste. Ceux pour qui ça a marché ne connaissent pas la LSF. Ils vont être appareillés et évoluer dans le monde des entendants. Il y a des sourds non-oralistes, ce sont mes clients, et les personnes qui deviennent sourdes. »
Malgré les difficultés auxquelles doit faire face Karine Thénard, ce qui la fait tenir c’est sa passion pour son métier, son engagement pour rendre cette communauté visible. « C’est un métier qui est militant, ça, c’est certain. Je me suis investie dans la justice parce qu’il y a de la discrimination au quotidien, s’agace-t-elle. Les droits des sourds sont dénigrés, en disant par exemple que le droit à un interprète n’est pas obligatoire. Or, si, ça l’est et c’est payé par l’État. J’essaie de rendre compte de certaines solutions avec la permanence juridique et de contacter des politiques. »