Du 14 au 25 mai se tient la première édition du Decolonial Film Festival. Plusieurs organisations culturelles aux engagements antiracistes, féministes, queers et diasporiques ont été invitées pour proposer une programmation de films décoloniaux. Les projections des films ont lieu à Paris et en région parisienne. On parle du contenu de l’événement culturel avec Coralie Mampinga, chargée de production.
Pouvez-vous expliquer le Decolonial Film Festival ?
C’est un festival de cinéma alternatif. On souhaite, à travers ce festival, interroger la question de la décolonisation à travers des récits parfois trop marginalisés, des films qui, selon nous, méritent davantage d’être mis en lumière. Ils sont importants pour le travail de mémoire, pour que les gens se documentent, pour qu’ils se rappellent ou apprennent ce qu’il s’est passé pendant les colonisations. J’insiste bien sur les colonisations parce que, bien évidemment, il y en a eu plusieurs à différentes époques dans différents pays, effectuées par différents colons.
Quel est le point de départ de ce festival ?
Le point de départ du projet, c’est vraiment la censure dans ses formes les plus absolues, dans toutes les strates du milieu culturel, dans les cinémas. C’est le fait de se voir refuser de projeter un film parce que trop politique ou trop “niche”, ou parfois parce qu’il a une portée considérée comme trop anticoloniale. Je sais que ces mots – coloniale, colonisation – font peur, parce qu’ils renvoient à des vérités qui dérangent, qui mettent mal à l’aise. Je trouve ça un peu dommage puisque le cinéma est éminemment politique. Il l’a toujours été. Toutes ces choses-là nous ont mis surtout en colère, on s’est dit :”on en a marre, on va créer notre propre festival”.
Pourquoi ne faut-il pas avoir peur de ces mots “colonial/colonisation” ?
Alors ça fait peur, car dans l’idée des gens, c’est de l’accusation. Ça renvoie à quelque chose de négatif ; or, il faut s’approprier cette histoire. Il ne faut pas la taire. Justement, il faut en parler pour que les gens puissent s’en souvenir et qu’on se dise : « OK, plus jamais ça, plus jamais de colonisation, plus jamais de racisme, plus jamais de massacres ». Donc c’est pour ça que ces mots-là, il faut les démystifier. Il ne faut pas en avoir peur.
Il s’agit d’essayer de comprendre leur essence et pourquoi il est important de les garder tels quels, de les estampiller, les placarder un petit peu partout, pour que les gens se rappellent que les colonisés font partie de l’histoire du monde, de l’histoire de la France. Ces récits sont importants, notamment pour le travail de mémoire et pour toutes les personnes qui souffrent encore et qui ont souffert.
En ce qui concerne la programmation et les projections, qu’avez-vous prévu ?
Il va y avoir toutes sortes de films. On aura du court, du long, de la fiction, du documentaire, donc une belle programmation éclectique provenant des quatre coins du globe, des Caraïbes en passant par l’Afrique du Nord ou encore le Moyen-Orient. Il y a des films qui parlent de Frantz Fanon, figure emblématique des luttes contre le racisme et le colonialisme. On aura des films qui parlent des massacres de Sétif, Guelma et Kherrata du 8 mai 1945.
Plusieurs thèmes sont abordés pendant le Decolonial Film Festival…
On a choisi plusieurs thèmes : héritage, résistance, terre, diaspora, spiritualité. Et en fait, j’ai vraiment l’impression que ces thèmes forment une boucle plutôt cohérente, qui va amener plusieurs questions. Notamment, qu’est-ce qui nous reste après la colonisation ? De quoi hérite-t-on ? Quels sont les séquelles, les traumatismes transgénérationnels ? Qui a résisté ? Qui a collaboré ? Comment se réapproprier nos terres ? Faire repartir aussi une économie ? Comment reconstruire un pays massacré ? Qu’est-ce qui a disparu ? Qu’a-t-on délaissé ? Qu’est-ce qui a été assimilé ? Ce qui, pour moi, revient à la question de la religion versus la spiritualité. Je sais qu’on a beaucoup ce débat, notamment dans des pays d’Afrique. Donc voilà, on aura des thèmes très intéressants qui, je pense, vont susciter de nombreux débats.
Pourquoi ce festival est nécessaire, particulièrement pour les minorités concernées par les thématiques que vous abordez ?
Il est important d’être représenté et de pouvoir mettre en avant des récits qui leur parlent. Ce festival est nécessaire, parce qu’à un moment donné, il faut adopter un positionnement clair sur ce que représente le cinéma parce qu’il est très diversifié. Il y a des récits qui sont parfois un petit peu passés sous silence. Alors, est-ce qu’on tend de plus en plus vers une censure absurde et totale des cinémas, des collectifs, des histoires ? Ou est-ce que justement, on renverse un petit peu tout ça et on laisse l’espace de parole à tout le monde ?
C’est la volonté de notre festival. Nous avons une réelle volonté de casser cette image de l’industrie du cinéma qui est un cercle élitiste, sexiste, raciste et qui met comme ça des personnes parfois racisées ou des personnes LGBT au compte-gouttes, ou parce qu’il faut répondre à des quotas. En tout cas, je pense que sincèrement notre festival, il est juste. Il n’est pas radical. Ce festival de films alternatifs laisse la place aux désaccords, aux prises de différentes positions. Justement, après les séances, on aura des moments de discussion avec le public, avec les cinéastes, c’est important de faire participer tout le monde.
Selon vous, quelle est la vocation du cinéma ?
Le cinéma est politique, donc sa vocation, elle est aussi de faire passer des messages, même si on ne regarde que la fiction. C’est peut-être aux gens d’être plus aiguisés dans leur analyse pour comprendre certains messages qui sont parfois un peu cachés pour éviter la censure. Donc oui, le cinéma est pour moi, au même titre que la radio ou d’autres médias, un moyen de faire passer de l’information, de mettre en visibilité et en valeur des récits et des histoires.
Finalement, qu’est-ce que vous souhaitez apporter avec cet événement ?
Un renouveau. C’est pour ça que le symbole du festival, c’est une vague parce qu’on souhaite s’étendre un petit peu partout aussi. Cette première édition a lieu en région parisienne. Mais le festival a vocation à s’étendre dans d’autres villes en France et notamment Marseille. C’est une ville qui a de gros réseaux militants, qui est très engagée, qui a des cinémas, aussi, qui sont très engagés. On souhaite justement que le Decolonial Film Festival devienne un modèle de référence tant dans son modèle économique que dans son engagement en matière de choix de programmation.
Pour terminer, votre festival est même temps que le festival de Cannes (du 14 au 25 mai). C’est un hasard ?
Non, ce n’est pas un hasard. On veut leur faire de l’ombre clairement (rires). Ça a été vraiment choisi parce qu’avec le Décolonial Film Festival, on veut revenir à l’essence du cinéma. Bannir un peu le strass, les paillettes et revenir au fondamental du cinéma, qui est de raconter des récits intéressants, politiques, engagés, parfois de la fiction.