Le vélo a toujours fait partie de la vie de Pierre Gillet : “Je n’ai pas le permis de conduire donc le vélo est pour moi le moyen de me déplacer loin quand il y a besoin, pour partir en vacances en particulier.” Et l’idée d’un premier voyage lointain ne tarde pas à occuper ses pensées. Après quelques lectures qui renforcent sa motivation, et un contexte favorable – il est à ce moment-là au chômage, tout comme sa femme, et son fils n’est pas encore à l’école primaire -, il décide de se lancer.
C’est le tout premier grand voyage à vélo pour le couple, et ce sera direction Istanbul. “On a décidé de partir loin dès le début en se disant qu’on apprendrait en voyageant et c’est ce qu’il s’est passé. L’idée était de partir et qu’il n’y ait pas d’échappatoires possibles.”
Nous sommes en 1998. Pas de vélos spéciaux, pas de matériel professionnel, ils partiront avec leur vélo, s’équiperont de porte-bagages et sacoches bas de gamme, qu’ils isoleront eux-mêmes avec d’épais sacs en plastique. Après un simple essai lors duquel le couple charge les vélos d’encyclopédies, le départ est donné. D’abord tranquillement, en parcourant quelque 30 km chaque jour, puis avec un rythme plus soutenu, jusqu’à 70 km quotidiens.
Seulement, le contexte géopolitique n’est pas de leur côté. La guerre gronde au Kosovo. Qu’à cela ne tienne, ils traverseront l’Europe par le nord : Italie, Slovénie, Croatie, Hongrie, Roumanie, Bulgarie puis Turquie. “Au départ, on voulait aller jusqu’en Chine. Mais on a renoncé car cela nous embêtait que notre fils loupe le début du CP et puis tout se complique après la Turquie. On arrive vite en Iran, en Afghanistan. Alors, au bout de 6 mois, on s’est dit “allez, on rentre !””
Six mois de trajets à travers les petits villages d’Europe de l’Est qui leur auront beaucoup appris. Passée l’appréhension d’ignorer chaque jour où l’on va déplier la tente, le quotidien devient la route, l’errance la normalité. “Ça nous a appris à vivre avec rien et dans 4 mètres carrés, raconte Pierre. On se faisait beaucoup inviter. Donc ça apprend aussi que le contact avec les gens peut être souriant, sympathique, facile. Ça a soigné ma misanthropie”, plaisante-t-il.
Les stars du village
La famille traverse les campagnes d’ouest en est. Là, ils sont toujours accueillis à bras ouverts, les habitants découvrant avec tendresse un enfant de 6 ans dans la remorque. Ce qui, aux dires de Pierre, aurait certainement aidé à les inviter plutôt qu’à simplement proposer un endroit pour poser la tente. “Ils étaient contents de voir des voyageurs à vélo et non des touristes. Et ils étaient très honorés que l’on s’arrête chez eux et pas chez les voisins, donc ils devenaient un peu l’attraction du village. Ça leur donnait l’occasion de parler avec des Français. On leur apportait un peu d’exotisme.” En effet, à l’époque, ils restent une curiosité. Ils n’ont croisé absolument aucun autre voyageur à vélo sur leur chemin.
Un récit atypique que Pierre Gillet a relaté dans un livre écrit à son retour, tiré à 200 exemplaires, pour les amis et la famille. “Pour moi, ça faisait partir du voyage. Quand on part très longtemps, il est difficile de revenir dans nos habitudes urbaines. Donc écrire m’a permis de faire une petite transition.”
Le premier voyage d’une longue série. La famille réitérera, mais sur les routes de France et d’Espagne, et sur des durées plus courtes. À aujourd’hui 53 ans, Pierre est parti pour la dernière fois il y a deux ans, réaliser un tour de France à vélo seul et en toute autonomie, pendant trois mois. Il dort alors dans les bois, comme chez des connaissances ou des amis d’amis. “J’aime bien aller chez des gens que je ne connais pas”, précise-t-il.
Ne pas savoir où l’on va dormir
Un dernier voyage qui l’a surpris, peu habitué aux longs trajets à vélos dans l’Hexagone, où il réalise comme tout est propre et entretenu, comparé à ses précédents voyages. Et puis, entre-temps, le GPS est arrivé. “Je sais quand il y a un village, où je peux trouver de l’eau, à manger. Avec le GPS, tout devient vraiment plus simple. Alors qu’à l’étranger, tout était plus compliqué. En même temps, j’aimais ce côté compliqué, j’aimais être perdu, c’était un peu l’objectif, on ne savait pas où on allait. En France, je fais pareil. Le matin, quand je pars, je ne sais pas où je vais dormir et j’aime bien ça.”
Pierre Gillet continue de traverser les villages, s’arrête dans les églises le midi pour pique-niquer au frais, évite les pistes cyclables qui ne correspondent pas à sa façon de voyager, où il se sent isolé, loin de la boulangerie, du petit bistrot et des conversations. Il emprunte les toutes petites routes pour éviter les conducteurs pressés et les imposants camping-cars.
Il repart cette année pour trois mois. Il lèvera la béquille le 1ᵉʳ mai, direction l’Espagne et le musée Dali à Figueras, puis traversera les Pyrénées direction l’Atlantique, avant de remonter vers Bordeaux et “ensuite, je verrai bien”. Il voyagera comme il l’a toujours fait, pour avancer, camper en pleine nature et aller à la rencontre des gens.