Mélanger du vin blanc et du rouge ? Certains diront « Sacrilège ! » D’autres s’en amusent et laissent court à leur imagination. Ce mélange insolite a donné son nom à un nouveau venu le « blouge ». Cette catégorie de vin existe depuis 30 ans, et se fait tranquillement sa place dans le paysage viticole. À Bordeaux, Laurent Bordes, œnologue de formation, en produit dans son chai urbain de vinification, Les Chais du Port de la Lune, qu’il a cocréé en 2017.
« On a appris à l’école que ça ne se faisait pas, ni sur le marché commercial, souligne-t-il. Puis, au niveau de la législation, il n’y a que les Champenois qui aient le droit de faire ça pour faire le champagne rosé, sauf les « Vins de France », appellation la plus basse dans la classification. Elle permet de faire des vins d’entrée de gramme, ce que nous faisons. Et on s’est dit pourquoi ne pas essayer. »
Pas de règle pour le blouge
La première fois qu’il a tenté l’expérience, c’était pour un restaurateur. Cette première cuvée de 400 bouteilles s’appelait The Blouge Brothers. Il y avait 90 % de cépages blancs et 10 % de rouges. Puis, la suivante a été Syncope avec 700 bouteilles. « On a fait des petits essais pour voir comment les consommateurs se comportent », dit-il. La prochaine sera appelée Clairon, avec 3 000 blouge en prévision. C’est un clin d’œil au Clairet de Bordeaux. Cette-fois ci, ils partent sur 20% de sémillon de Bordeaux et 80% de merlot bordelais.
Avec ce vin blouge, Laurent et son équipe souhaitent « offrir une alternative pour le moment de l’apéritif. On voulait quelque chose de très frais, gourmand, avec une belle acidité et un peu de tanin pour avoir de la texture en bouche ». Mais alors, y a-t-il une règle pour réaliser du blouge ? « Non, chacun apporte son style, on s’amuse à créer un produit, un goût. »
Des blouges bio
S’il n’y a pas de règle pour réaliser ce genre de vin, Laurent Bordes ne transige pas sur la qualité des bouteilles qui sortent de ses cuves. « On travaille avec 12 viticulteurs de 10 régions différentes, dont la moitié vient de Bordeaux, explique-t-il. Nous sélectionnons les parcelles chez des vignerons qui en ont trop et à qui ça demande du travail de s’en occuper. Nous vendangeons et transportons nous-mêmes les raisins. Ceux-là sont bio, voire produits en biodynamie. Pour les récolter, on peut faire jusqu’à 8 heures de route. »
Au niveau de l’assemblage, l’équipe des Chais du Port de la Lune a opté pour une cofermentation de cépages blancs avec des rouges. « Ils n’ont rien à voir ensemble. On se complexifie la tâche, mais on considère que ça amène plus de qualité, d’expression et d’aromatique. » Six mois après sa mise en bouteille, le blouge pourra être bu dans les mois qui suivent. Mais par qui ? « On travaille avec des caves à vin, des restaurateurs qui cherchent des alternatives. Sinon, on a une clientèle très urbaine. »
Le blouge, plutôt frais ou à température ambiante ? « C’est la grande question qu’on a expérimentée toute l’année, s’amuse Laurent. Les deux sont faisables. C’est assez drôle de sortir une bouteille fraîche du frigo. Puis, commencer à la boire comme un blanc et la terminer comme un rouge. Le froid fait sortir les tanins, il est alors râpeux dans la bouche. Et le chaud, le côté rond, voire alcooleux, ensoleillé. »
Faire du vin autrement
Par ailleurs, le vinificateur voit en le blouge une des solutions pour travailler les vins à l’avenir avec le réchauffement climatique. « On se rend compte que les rouges sont de plus en plus concentrés, trop mûrs et manquent d’acidité. Le fait d’y ajouter du blanc vient équilibrer et apporter de la fraîcheur. »
Les Chais du Port de la Lune réalisent 12 cuvées différentes chaque année et produisent 50 000 bouteilles de pétillant, de rouge, de blanc.
L’alcool est à consommer avec modération.