Comment l’archéologie préventive préserve notre patrimoine ?

Entretien avec Mathieu Roudier. Archéologue, il est directeur adjoint scientifique et technique à l’Inrap à Bordeaux. Il coordonne des opérations archéologiques sur le territoire aquitain.

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Archéologie préventive : le lien entre le passé et le présent

Archéologie préventive : le lien entre le passé et le présent

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Archéologie préventive : les vestiges d’une nécropole à Bordeaux

Archéologie préventive : les vestiges d’une nécropole à Bordeaux

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Patrimoine : qu’est-ce que l’archéologie préventive ?

Patrimoine : qu’est-ce que l’archéologie préventive ?

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A la découverte de l’archéologie préventive

A la découverte de l’archéologie préventive

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En milieu rural comme urbain, vous avez peut-être déjà vu des personnes s’activer dans des zones de chantier, outils à la main, attentifs, scrutant ce qu’il y a sous le sol, déterrant des vestiges du passé. Il s’agissait certainement d’archéologues en pleine fouilles archéologiques préventives. En quoi cela consiste ? Mathieu Roudier répond à nos questions. Il est directeur adjoint scientifique et technique à l’Inrap (Institut national de recherches archéologiques préventives). Il coordonne ainsi les différentes interventions des opérations archéologiques sur le territoire aquitain.

Mathieu Roudier, directeur adjoint scientifique et technique à l’Institut national de recherches archéologiques préventive à Bordeaux. Photo Jennifer Biabatantou/AirZen Radio

AirZen Radio. Que signifie être archéologue ?

Mathieu Roudier. Être archéologue, c’est avoir une passion pour le patrimoine, l’histoire plus ou moins ancienne. Puisque être archéologue, c’est intervenir sur des périodes qui peuvent remonter de la préhistoire. Mais aussi beaucoup plus récentes, parce qu’on parle également d’archéologie d’époque industrielle, donc des XIXe et XXe siècles. Être archéologue, c’est donc s’intéresser de manière générale à l’histoire et au patrimoine national. C’est aussi travailler en toutes circonstances : qu’il pleuve, qu’il neige, qu’il fasse très chaud.

Qu’est-ce qu’alors l’archéologie préventive ?

C’est l’intervention des archéologues préalablement à tous les projets d’aménagement qui structurent le territoire français. Aussi bien des projets d’aménagement privés – comme la construction d’une maison individuelle – que des projets d’aménagement à plus grande échelle – comme des lotissements. Ça comprend aussi des constructions d’autoroutes ou d’hôpitaux, etc. L’archéologie préventive est donc l’intervention des archéologues avant tous ces projets, qui vont impacter nécessairement le sous-sol et donc détruire les vestiges qui y sont conservés. Le travail des archéologues est ainsi de vérifier ce qu’il y a dans le sous-sol, de relever, d’enregistrer, de conserver la mémoire de tout ce passé avant qu’il soit détruit.

Chaque projet de construction donne donc lieu à de l’archéologie préventive ?

Pas nécessairement. Tout va dépendre du cadre d’intervention. En milieu urbain, surtout dans une ville comme Bordeaux ou d’autres grandes villes de France qui ont une histoire très longue, il y aura quasiment, pour chaque projet d’aménagement qui va impacter le sous-sol, de l’archéologie préventive. Quand on intervient en milieu rural, il n’y a pas forcément à chaque fois de l’archéologie préventive.

Comment ces missions se déroulent-elles ?

Il y a un processus qui est plusieurs temps. Le projet d’aménagement va être déposé. Il va arriver sur les bureaux des services instructeurs des services de l’État, le service régional de l’archéologie (SRA). Lui va demander à l’Inrap de réaliser un diagnostic. On va donc intervenir sur le site, faire quelques ouvertures, des tranchées, des sondages pour vérifier s’il y a un patrimoine de vestiges conservés. En fonction des résultats de ce diagnostic, le SRA décide s’il y a une fouille archéologique préventive.

Généralement, combien de temps dure un diagnostic ?

Il va durer au minimum 2 à 3 jours. Il peut se développer sur plusieurs semaines en fonction de la superficie sur laquelle on doit intervenir et diagnostiquer. Un chantier de fouilles préventives va quant à lui se dérouler au minimum sur trois semaines. Cela peut aussi durer un an dans le cadre de très gros projets d’aménagement. Il n’y a pas de règle.

Combien de chantiers gérez-vous sur le territoire aquitain ?

C’est très fluctuant, parce que ça dépend de l’activité des projets d’aménagement. En général, on a toujours plus ou moins 5 ou 6 diagnostics en même temps et 2 à 3 fouilles d’archéologie préventive. Mais il peut y avoir entre 5 et 10 opérations différentes menées en même temps sur tout le territoire.

Les fouilles archéologiques se déroulent davantage en milieu urbain ?

Pas nécessairement. Les opérations en milieu urbain sont plus rares parce qu’il y a beaucoup de conditions, de logistique, d’intervention assez compliquées à mettre en place. Puis, dès qu’on touche au sous-sol, en milieu urbain, on sait que les projets vont être compliqués. En milieu rural ou dans des petites communes, c’est plus régulier. Ça peut aussi bien être pour des lotissements que des aménagements, des extensions de carrière, des aménagements de fermes agriphotovoltaïques. Tous ces projets sont beaucoup plus vastes en superficie. C’est essentiellement ce type de projet que l’on accompagne.

Finalement, quel est l’intérêt de l’archéologie préventive ?

Elle a un double intérêt. Celui, d’abord, de permettre de comprendre, de connaître le passé de notre patrimoine, les occupations les plus anciennes, et de conserver ces données pour la mémoire. À côté de ça, elle permet également au projet d’aménagement du territoire de ne pas bloquer l’avenir avec le passé. Elle consiste à permettre de faire que les deux coexistent.

Parce que si vous trouvez des vestiges, un projet de construction ne sera pas nécessairement annulé…

Non. Quand on fait nos opérations d’archéologie préventive, on ne va pas derrière empêcher la construction qui doit se faire. On relève tous les vestiges, les données, le mobilier archéologique. Puis, on interprète et, à côté, le projet va continuer. On va prendre, bien sûr, plus ou moins de temps pour faire notre fouille. Bien sûr, ça peut arriver que ça bloque, mais c’est dans le cadre de découvertes extraordinaires, qu’on considère faire partie du patrimoine national, voire mondial, comme à Pompéi. Là, c’est vraiment un site extraordinaire. Dans ces cas-là, on peut annuler le projet. Mais cela représente moins de 1% des projets d’aménagement que l’on peut rencontrer.

Est-ce qu’on peut dire que les archéologues sont des enquêteurs sur le passé ?  

C’est tout à fait ça le travail. Le travail de l’archéologue est un peu un travail d’enquêteur. On ne va pas dire qu’on se rapproche de “NCIS” ou autres, bien sûr (rires). Mais oui, on doit relever tous les indices d’occupation du passé, les comprendre, les analyser pour pouvoir dire qu’à tel endroit, il y avait une maison, à tel endroit, un entrepôt, là, une route. Tout ça, c’est de l’interprétation, c’est de l’analyse. Donc oui, un archéologue mène une enquête sur le passé.


L’Inrap estime que 90% des fouilles réalisées en France ont lieu dans le cadre d’une opération d’archéologie préventive. Sans celles-ci, des pans de l’histoire seraient détruits, peu connus, voire ignorés. L’archéologie préventive est réalisée aux frais de l’entreprise ou du particulier qui prévoit de réaliser des travaux affectant le sous-sol.

Photo Jean-Baptiste MENGES – Bordeaux Métropole

Il arrive que ces fouilles préventives donnent lieu à des découvertes rares. Ça a été le cas à Bordeaux, en 2023, près de la basilique Saint-Seurin, en amont des travaux du Bus express. Camille Vanhove, archéologue, spécialiste en anthropologie, est responsable d’opération au Centre archéologie préventive de Bordeaux métropole. Elle était la responsable du chantier :

Ce qui était inédit, c’était l’étendue de la nécropole, et la découverte d’habitat antique à l’espace funéraire. En tout premier lieu, il y a eu une installation, probablement, d’une domus, donc un habitat privé d’époque gallo-romaine. Pour l’instant ce sont des suppositions. Elle aurait été construite aux alentours du début du Ier siècle de notre ère et aurait été utilisé jusqu’aux IIIe-IVe siècles.

SABM

Ensuite, elle aurait été totalement abandonnée et tout l’espace aurait été récupéré à des fins funéraires. Elle aurait alors changé de vocation. Une nécropole se serait installée dans les parages, probablement en lien avec le site de la basilique Saint-Seurin. Il y aurait des premières inhumations qui dateraient du IVe siècle. Puis, aux VIe, VIIe siècle, VIIe siècles, s’implanterait la nécropole avec les sarcophages. On a retrouvé 57 sarcophages, avec les restes d’un jusqu’à cinq individus à l’intérieur.

Ensuite, il y a encore eu des inhumations jusqu’à l’époque moderne, mais elles sont moins intenses. Au XVIIIe siècle, à l’époque moderne, la vocation funéraire change. Et on se retrouve dans le cas de figure où il y aurait plutôt des bâtiments, puisqu’on a retrouvé des murs et des sols, mais on ne connaît pas leur fonction. On a retrouvé les ossements de près de 200 individus, toutes époques confondues.

Ce contenu audio a été diffusé le 04 juillet 2024 sur AirZen Radio. Maintenant disponible en podcast sur airzen.fr, notre application et toutes les plateformes de streaming.

Par Jennifer Biabatantou

Journaliste

Agence de communication Perpignan