À première vue, design et campagne n’ont pas grand-chose en commun. “Le design est une discipline qui s’est constituée au XIXe siècle, avec la révolution industrielle, donc en lien avec des dynamiques d’urbanisation”, raconte Emmanuel Tibloux, directeur de l’ENSAD, l’école des arts décoratifs de Paris.
“Mais nous pensons que le design, au sens large, est une façon de répondre à des problématiques complexes, en mettant la dimension de l’usage au premier plan. Le design a des choses à apporter à ces territoires, où s’expérimentent et se réinventent nos modes de vie, nos services et nos usages.”
Cette année, huit étudiants post-master, originaires de France, d’Italie, de Grande-Bretagne et du Liban, ont séjourné pendant dix mois à Nontron, sous-préfecture de Dordogne. Leur mission : donner vie à des commandes pour mettre en valeur le monde rural. “Les territoires ruraux sont confrontés à quantité de questions qui ont attrait à la santé, l’éducation, l’accès au numérique…, explique Emmanuel Tibloux. C’est dans cet esprit qu’il m’a semblé important d’implanter un programme.”
Un laboratoire de l’innovation
Nontron réunit trois caractéristiques qui en font un laboratoire de l’innovation par le design en milieu rural. Celle du phénomène de déprise (une population vieillissante, des commerces qui ferment, des entreprises et services qui s’en vont), celle d’un territoire qui subit une centralité, suffisamment éloigné des grands centres urbains pour être un centre à lui tout seul, pour ne pas être pris dans des logiques de périurbanisation.
Enfin, c’est un territoire où l’on trouve des savoir-faire, manufactures et réseaux de solidarité, qui vont permettre de redynamiser le territoire rural au moyen du design. Nontron présente une tradition de la coutellerie, de nombreux métiers d’art. Hermès, par exemple, y est installée. D’ailleurs, les deux employeurs les plus importants du secteur sont l’Ehpad (vieillissement de la population) et Hermès (savoir-faire).
Et ce sont justement sur ces axes de recherche que les étudiants ont eu à travailler : vivre son adolescence en milieu rural, la question du soin à domicile des personnes âgées en milieu rural ; et que peut l’économie sociale et solidaire pour les professionnels des métiers d’art en milieu rural ? Se sont rajoutés deux axes de recherche, l’un autour des usages de l’eau et l’autre du végétal et de la façon dont on peut entretenir les espaces de végétation dans les petits bourgs de milieux ruraux, et faire en sorte qu’ils deviennent comestibles, les intégrer à la nourriture collective.
Les étudiants ont réalisé un festival des lavoirs, afin de réactiver la fonction sociale de ce lieu emblématique des villages de Dordogne, et réalisé un four à pain dans l’Ehapd, là encore pour créer du lien.
“La terre où l’on vit est celle dont on vit”
“Ce programme attire des jeunes gens pour qui la campagne est un enjeu, qui considèrent que c’est à la campagne que nos modes de vie doivent se réinventer, précise Emmanuel Tibloux. Les profils que l’on attire ce sont des profils qui veulent s’engager vers des expérimentations, d’autres façons de vivre, d’habiter la terre, d’utiliser les ressources. Une transformation, une transition, qui passe nécessairement par ces petites échelles, par les circuits courts. Cette conscience que la terre où l’on vit est la terre dont on vit. Cette conscience qu’on doit avoir que le lieu est la même chose que la ressource, et cette conscience-là, vous l’avez bien plus fortement à la campagne qu’à la ville.”
Design des mondes ruraux sera réitéré à la rentrée prochaine, après un nouvel appel à candidature international.