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Dans son livre, Camille Teste repense et politise le bien-être

Ancienne journaliste, professeure de yoga, l’autrice Camille Teste nous invite, dans son ouvrage, à “Politiser le bien-être”. Pratiques individuelles, capitalistes... comment les mettre au service du collectif ?
© Photo Olivier Montégut / AirZen Radio
Journaliste

Séances de yoga, hypnose, art thérapie, coaching individuel, méditation, massages, programme de fitness, rééquilibrage alimentaire, jeûne intermittent, prières holistiques… Le “bien-être” prend de nombreuses formes. “Il s’agit d’un équilibre total, physique, psychologique, spirituel et social”, explique Camille Teste. Cette ancienne journaliste spécialiste des questions de justice sociale, militante féministe et professeure de yoga est l’autrice de “Politiser le bien-être”, paru aux éditions Binge Audio.  

Le déclic pour Camille Teste a été de voir ses parents travailler dans le soin. L’un est kinésithérapeute. L’autre est ostéopathe et se forme à la psychologie. “Quand j’étais petite, je remarquais que mes parents traitaient les problèmes physiques des gens. Les écoutaient. Mais systématiquement, ils oubliaient de mettre en lien leur douleur avec les contextes sociaux dans lesquels ils et elles évoluaient. Par exemple, Monsieur a des douleurs car il travaille plus de 10 heures par jour. Madame est anxieuse car elle évolue dans un milieu sexiste. Ils ne politisaient pas le mal-être.” 

Pour elle, le “bien-être” c’est la même chose ! Il doit se penser dans un contexte sociétal, social. “Le bien-être est aussi une industrie totalement dépolitisée. On n’a jamais de conversations sur l’impact de toutes ces pratiques sur les personnes, les groupes de personnes ou notre société”, explique-t-elle.  

Le bien-être, une industrie néolibérale 

Le bien-être génère près de 5 000 milliards dollars de chiffre d’affaires à l’échelle mondiale. Avec une croissance entre 7 et 10% par an depuis une dizaine d’années. “C’est un nouveau marché, qui n’existait pas il y a encore trente ans”, résume l’autrice. La France est même 6ᵉ sur le marché mondial ! Une bonne nouvelle ? “Cela pourrait en être une. Mais cela dit, pendant que le monde social et environnemental s’effondre autour de nous, on nous propose de regarder ailleurs, de se tourner vers des solutions individuelles.” 

Selon Camille Teste, la plupart des pratiques liées au bien-être sont tournées sur l’individu autocentré. “Je suis harcelé au travail, je vais suivre un coaching. J’ai des problèmes familiaux, je vais travailler sur moi avec la méditation pour mieux vivre ces situations de conflits, etc. Plutôt que de se tourner vers des luttes collectives, on se concentre sur l’individuel. Et ça, le capitalisme s’en frotte les mains, décrit-elle. Tout ce temps que vous consacrez à essayer d’être la meilleure version de vous-même, vous ne le passez pas à voter, à manifester par exemple.”  

Attention aux discours politiques déguisés

“Le néolibéralisme a marchandisé tout un tas de choses, est entré dans notre quotidien, s’est immiscé aussi dans les pratiques du bien-être”, détaille l’autrice. Et pourtant, on ne s’en rend pas compte parce que “quand on entre dans un studio de yoga, par exemple, on a la sensation de laisser ses problèmes à l’extérieur. Or, ce n’est jamais vraiment le cas”, dit-elle.  

Parfois, les milieux du bien-être sont même ouvertement politiques. C’est le cas de la biomorale par exemple. Cette théorie découlant de la psychologie positive tend à nous faire penser qu’être une bonne personne, c’est prendre soin de soi. Quelqu’un qui ne prendrait pas soin de soi, qui serait en mauvaise santé ou en état de dépression, serait ainsi une mauvaise personne. “Le bien-être devient ainsi un impératif. Idem pour l’exigence qu’on met sur les corps, le sport, le repos. Tout doit être contrôlé, optimisé pour donner à voir que l’on chouchoute son bien-être.”

Dans son livre, Camille Teste détaille aussi de nombreuses théories politiques qui transparaissent dans les discours des influenceurs bien-être. Grossophobie, sexisme, âgisme, validisme… Le bien-être en tant qu’industrie ne s’adresserait qu’à une certaine élite normée. “Mais ce n’est pas tout. Il y a aussi beaucoup de discours qui rendent les frontières entre bien-être et santé très floues par exemple […] Les professionnels du bien-être ont une véritable responsabilité dans tout ça. Ils doivent pouvoir dire lorsqu’ils opèrent un accompagnement individuel, mais aussi expliquer que la cause du mal-être vient le plus souvent d’un contexte social”, dit-elle.  

Vers un bien-être collectif et inclusif 

Mais alors, comment encourager des pratiques de bien-être plus en lien avec les luttes collectives ? Comment reconnecter les deux ? Dans son livre, Camille Teste explique que les espaces de lutte regardent avec méfiance ce monde-là, “justement car c’est un monde très individualiste”. Néanmoins, les militants pour les causes sociales et environnementales ont eux aussi besoin de souffler parfois, de se recentrer, de prendre soin d’eux.  

“On ne peut pas s’épuiser à défendre une lutte corps et âme. C’est peine perdue si on se brûle. On parle même parfois de burn-out militant. Pourtant, considérer le repos comme un passage obligé d’un militantisme serait de l’auto-préservation. Des militants, mais aussi des luttes.” Pour Camille Teste, profiter des pratiques du bien-être, c’est aussi une façon de faire avancer les luttes. Du moment qu’on le fait en conscience.  

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