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Congé menstruel : un an après, cette start-up tire un bilan positif

Sur une initiative de ses salariés, la start-up Louis (basée près de Toulouse) tire un bilan positif de la mise en place d’un congé menstruel. Un résultat français encourageant, alors que l’Espagne a adopté, en février, une loi dans ce sens.
© Ebéniste - Louis
Journaliste

« Ce qui est sûr, c’est que ce congé menstruel a changé ma vie au travail. Je me sens plus sereine et plus efficace. » Margaux, ébéniste de métier, nous accueille avec le sourire dans l’atelier de Louis. C’est derrière un établi de bois, des machines et des ponceuses, que la jeune femme prend son service tous les jours. Depuis un an, Margaux a la possibilité de prendre chaque mois un jour de repos lorsqu’elle souffre de menstruations douloureuses.

La start-up, qui fabrique du mobilier de bureau écoresponsable près de Toulouse, a en effet beaucoup fait parler d’elle le 8 mars 2022. Elle est l’une des seules entreprises en France à avoir adopté le congé menstruel, voté en février Espagne. L’autre, qui l’a mis en place en janvier 2021, est une SCOP (société coopérative de production) basée près de Montpellier. Dans les deux cas, le bilan est plus que positif.  

Le congé menstruel, quèsaco ?

Margaux – Louis

Avant de parler du congé menstruel, encore faut-il comprendre ce qui se cache derrière un seul mot : « règles ». Il existe près d’une vingtaine de symptômes derrière les menstruations. Tous les mois, et pendant plus de 35 ans, les personnes menstruées font face à de multiples contraintes qui accompagnent des pertes de sang plus ou moins abondantes. Baisse d’énergie, migraines, sauts d’humeur, situation d’inconfort, crampes, nausées…

Certaines – plus d’une sur deux dans le monde – souffrent de règles douloureuses (appelées aussi dysménorrhée). Selon l’Assurance maladie, elles sont d’ailleurs la première cause d’arrêt de travail chez les femmes. D’autres sont aussi atteintes d’endométriose.

Sur ce constat, certaines employées de Louis ont décidé d’aborder la question avec la direction de l’entreprise en 2022. « Nous avons régulièrement des sessions de questions/réponses avec les fondateurs. On a alors émis l’idée de la mise en place d’un congé menstruel », se souvient Lucie Rouet, chargée de communication chez Louis. « Nous leur avons donné notre accord pour lancer des recherches et remettre un rapport à l’ensemble des salariés », ajoute Paul Gély, directeur général de l’entreprise.

Congé menstruel : mode d’emploi ?

Le congé menstruel existe dans quelques pays. C’est le cas du Japon, depuis 1947. Là-bas, il n’est que peu utilisé car plutôt mal vu pour les femmes. En Europe, le premier pays à l’avoir mis en place est l’Espagne, en février 2023.

L’équipe – Louis

Après une évaluation sérieuse, Lucie – porteuse du projet de congé menstruel chez Louis – a pris le soin de sonder toutes les femmes de l’équipe. Celles qui occupaient un poste administratif, tout comme celles travaillant à l’atelier. Le bilan du sondage a été détaillé dans un mode d’emploi que la start-up met à disposition des autres entreprises.

Après présentation au reste de l’équipe et adoption du projet, Louis a fait signer une charte de consentement à l’ensemble des salariés. Cette charte est d’ailleurs présentée à chaque recrutement. « Cela a très bien été accueilli. Certains hommes, qui avaient des réserves au début, ont bien compris la démarche et ont soutenu le projet », raconte le directeur général. « On a simplement rétabli une situation d’injustice dans les équipes : les femmes qui souffraient de règles douloureuses devaient poser un jour de congé payé. Et pas les hommes. Ce n’est plus le cas », ajoute Lucie Rouet.

L’atelier près de Toulouse – Louis

La charte de consentement de Louis précise aussi les modalités de ce congé menstruel. Un jour par mois payé par l’entreprise, non obligatoire ni automatique, à poser sans besoin de justificatif médical. « On l’a voulu le plus simple possible. Il suffit simplement de prévenir son manager la veille ou le jour-même en cas de règles douloureuses », détaille Paul Gély.

Un an après, un bilan très positif…

« Honnêtement, j’ai été très surprise. Très agréablement surprise. Au début, je ne me sentais pas hyper légitime, j’avais peur du regard de mes collègues hommes. Mais la direction m’a beaucoup rassurée », raconte Margaux, ébéniste.

La mise en place a eu lieu le 8 mars 2022. Aujourd’hui, l’heure est au bilan. « Et il est sincèrement très positif », confie Lucie.

Sur la centaine de jours « congé menstruel » que la start-up offrait, seuls 13 ont été pris sur l’année écoulée. Louis propose aussi la possibilité de poser un jour de télétravail menstruel pour les personnes ne travaillant pas à l’atelier. Celui-ci a aussi été utilisé de façon raisonnable.

Louis

« Cela n’a aucunement impacté la productivité dans l’atelier ou dans les bureaux », explique Paul Gély. « Me sentir légitime à poser cette journée fait que je peux revenir en forme le lendemain », ajoute Margaux. La jeune femme, qui souffre de règles très douloureuses, confie en effet « ne pas pouvoir porter de charges lourdes, ni même marcher à certains moments. Ce congé est donc une façon pour moi de vraiment me reposer de ces douleurs ». La direction ajoute, par ailleurs, que le congé menstruel étant très bien accepté chez Louis, le reste de l’équipe se sert les coudes en cas d’absence, pour compenser le travail qui n’est pas fait.

Sur le plan « psychologique », l’entreprise a aussi mesuré un impact réellement positif sur les équipes. « Les femmes, aussi bien que les hommes, sont particulièrement fiers de faire partie d’une boîte qui a adopté cette mesure. Fiers aussi de pouvoir sensibiliser leur entourage sur le sujet. Et participer à la fin d’un tabou », confie Lucie.

Des pistes d’amélioration pour pérenniser le dispositif

Mais alors, si le congé menstruel fonctionne aussi bien, comment expliquer qu’on le prenne si peu. « La première réponse tient au fait que toutes les femmes ne souffrent pas de règles douloureuses. Certaines ne ressentent donc pas le besoin d’y avoir recours, explique Paul Gély, à la tête de Louis. Mais il n’y a pas que ça. Ce qui ressort, c’est que certaines ne se sentent toujours pas légitimes à le faire. Et là, c’est vraiment à nous de jouer. »

En effet, après un an de test, il ressort qu’une telle mesure doit être constamment accompagnée si on la veut pérenne. Le dialogue et l’échange, priorisés au moment de cette mise en place, doivent se poursuivre dans l’application. « Par exemple, certaines femmes récemment recrutées n’ont pas pleinement conscience qu’elles peuvent le prendre. C’est à moi, c’est à la direction, de leur rappeler régulièrement qu’elles y ont droit et que c’est totalement OK », détaille Lucie Rouet.

Thomas, Paul et Bauelieu, les fondateurs de Louis.

La question de la légitimité se pose aussi selon les métiers. Les salariées de Louis occupant des postes administratifs peuvent aussi se sentir moins légitimes à poser ce congé. Et ce, vis-à-vis des ébénistes, notamment parce qu’elles peuvent avoir recours au télétravail. « Mais l’un n’empêche pas l’autre. Si les règles sont douloureuses, ce jour peut, au contraire, permettre de vraiment se reposer. Le télétravail est utile si c’est supportable. Mais quand ça ne l’est pas, ce congé est justement là pour ça », ajoute Lucie.

En France, bientôt un congé menstruel ?

Pour remédier à ces quelques freins, Lucie Rouet – chargée du suivi de la mesure depuis le début – a suggéré quelques pistes à la direction. Parmi lesquelles, des réunions plus régulières entre personnes menstruées pour faire le point. Ou encore, un rappel régulier, par la direction, de l’existence de ce congé. Quant à la question de savoir si cet outil est applicable ou non aux autres entreprises de France, Paul Gély reste optimiste.

L’enjeu c’est la confiance, selon lui. « Nous avons la chance d’être une petite équipe, et tout a été basé là-dessus, depuis le début. Pour les grands groupes, cela peut fonctionner, mais si c’est réfléchi, encore une fois, à l’échelle des équipes. Et non pas comme une règle générale sans accompagnement. Car les salariées ne se sentiraient jamais légitimes à le prendre. » Quant au justificatif médical, comme ce sera bientôt le cas en Espagne, c’est à double tranchant selon lui. « C’est une façon de garantir aux entreprises qu’il n’y a pas d’abus. Mais ça reste une démarche de plus à faire pour les femmes, ce qui peut rendre la chose dissuasive. »

En France, pour l’heure, le congé menstruel n’existe pas au plan législatif. Plusieurs députés des rangs écologistes ont néanmoins décidé de porter cette mesure à l’Assemblée nationale.

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