Albin Wagener est enseignant chercheur en sciences du langage à l’ICAM de Lille. Il travaille sur les discours, notamment en matière de climat. Il invite à sortir du logiciel du XXe siècle et à proposer de nouveaux récits.
AirZen Radio. On parle d’« urgence écologique » ou encore de « crise climatique ». Si ces mots ont une réalité scientifique indéniable, ils font aussi très peur. En matière de climat, les mots ont un sens important…
Albin Wagener. Les mots ne sont pas juste des choix sémantiques que l’on plaque sur la réalité. Ils renferment des imaginaires en eux-mêmes. Si je vous dis « chat », vous allez penser à votre chat chez vous. Si je vous dis « ne pensez pas à un éléphant », vous allez pourtant le faire. Les mots déclenchent, véhiculent. Lorsqu’on a des choix de termes comme « changements, crises, bouleversements climatiques », ça en dit très long. Cela génère, au-delà des imaginaires, des actions, des façons d’organiser nos sociétés et nos économies.
AirZen Radio. Et que dit-on, alors ?
Albin Wagener. Toute la difficulté, c’est de savoir comment engager les gens. Les récits en circulation sont soit des récits critiques, soit des récits de déni, soit solutionnistes. Entre le greenwashing, le climatoscepticisme, le technosolutionisme, le colibrisme ou le fait de renvoyer la responsabilité sur l’individu, on s’y perd un peu. Et cela peut être décourageant. L’idée serait donc de trouver des récits qui partent du réel, des territoires. Que ça parte du bas. Il manque le récit du XXIe siècle.
AirZen Radio. Dans quel récit est-on englué aujourd’hui et qui nous empêche d’envisager l’avenir autrement ?
Albin Wagener. Dans le récit du XXe siècle. Le grand récit de croissance. On a promis à tout le monde qu’on pouvait se réaliser grâce à la possession de bien matériels, au développement personnel. Cet individualisme néolibéral coupe l’individu des autres, du collectif, de la nature en réalité. Le problème c’est que les mots utilisés en écologie sont connotés négativement. Sobriété impliquerait une privation. Décroissance, un recul. Il faudrait trouver d’autres mots tout aussi engageants que la croissance. C’est le gros enjeu du XXIe siècle.
AirZen Radio. On explore en permanence des nouveaux récits sur AirZen Radio. Des initiatives locales inspirantes à très petites ou immenses échelles…
Albin Wagener. Oui, et tant mieux ! Il en existe des millions. Dans le monde entier, il y a des utopies concrètes, des entreprises, des associations qui font bouger d’immenses lignes. En fait, les récits ne sont pas juste des histoires. Ce sont des actions qu’on va incarner concrètement. Ces récits de solutions et de mouvement influencent nos modes d’actions collectives. Tout ça montre que c’est en train de frémir.
AirZen Radio. La publicité peut-elle nous aider en ce sens ?
Albin Wagener. Je n’aurais certainement pas dit cela, il y a quelques années. Mais oui, le marketing nous a vendu jusque-là des imaginaires. On ne vend pas une perceuse aux gens, on vend la possibilité de faire un trou dans un mur, l’idée du papa qui bricole. Il a donc eu cette capacité de nourrir la créativité. Si on dit qu’on a besoin de tout le monde, alors il faut se rendre compte que le marketing et la pub sont des outils puissants en matière de transition. Qu’ils mettent ces compétences-là au service du bien commun. Récemment, l’ADEME l’a fait avec sa publicité sur les “dévendeurs” !