De quoi apaiser, pour l’heure, la colère d’une partie du monde agricole. Le Premier ministre a annoncé, le 1ᵉʳ février dernier, une série de mesures de soutien aux producteurs et aux productrices. Parmi lesquelles, un soutien fiscal de 150 millions d’euros, la prise en charge des frais vétérinaires pour une partie des éleveurs ou encore la mise en pause du plan Ecophyto visant à réduire l’utilisation des pesticides en France.
Tandis que la FNSEA et les Jeunes agriculteurs ont appelé à la levée des blocages, d’autres syndicats, comme la Confédération paysanne, appellent à repenser le modèle plus en profondeur. Normes environnementales, juste rémunération, transition écologique… Quelles sont les réponses possibles ?
Un mouvement profond, une chance de refonder le système ?
Nicolas Chabanne, initiateur de C’est qui le patron ?!, marque qui réunit consommateurs et producteurs pour déterminer un prix de vente juste, estime qu’une réforme structurelle majeure est nécessaire. « Nous testons ce processus depuis 8 ans et cela marche pour nos 13 000 sociétaires. Le véritable garde-fou, celui qui peut empêcher l’appauvrissement des producteurs, c’est le consommateur ! » explique-t-il.
Pour lui, ainsi que pour Sandy Olivar Calvo, militante chez Greenpeace France, la priorité est de donner aux producteurs et productrices de quoi vivre de leur travail. Aujourd’hui, en France, ce droit n’est pas respecté, plus de 38% des agriculteurs vivant avec moins que le SMIC. 26% d’entre eux sont par ailleurs sous le seuil de pauvreté. « Comment demander à nos agriculteurs de faire des efforts quand ils ne peuvent pas se rémunérer correctement. Comment leur imposer des règles quand nos traités de libre-échange leur tirent une balle dans le pied ? » s’interroge cette dernière.
Greenpeace demande ainsi un moratoire sur ces traités commerciaux qui permettent d’importer des produits, notamment de la viande, de pays dont les normes environnementales sont bien moins drastiques pour les revendre à bas coûts en France.
« Dès le moment où vous gagnez votre vie correctement, quel intérêt avez-vous à courir pour faire encore plus et encore plus fort ? Aucun. Au contraire, vous allégez vos charges sur la nature, sur les animaux. C’est une petite société qui se met en place dans l’exploitation et qui devient très protectrice », ajoute Martial, producteur de lait dans l’Ain et sociétaire de C’est qui le patron ?!
Alors, la crise agricole actuelle est-elle l’occasion de changer le système en profondeur ? « J’y crois énormément. Mais je compte plus sur le pouvoir des consommateurs, de leur carte bleue et leur bon sens, plutôt que sur notre pouvoir politique », complète-t-il.
Comment l’écologie et l’agriculture peuvent s’entraider ?
Selon Nicolas Chabanne, il suffirait de reproduire le modèle de la coopérative à plus grande échelle. « Il faut faire des consommateurs des alliés », dit-il. Et les chiffres lui donnent raison. Selon un sondage Yougov, 78% des Français sont inquiets de la situation alimentaire actuelle. Ils sont au moins autant à se dire prêts à payer un peu plus cher les produits s’ils ont la garantie que cela peut participer à mieux rémunérer un producteur. Pour ce faire, C’est qui le patron ?! propose une vignette à apposer sur les produits concernés.
Mais alors, qu’en est-il des normes environnementales. L’annonce du ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, de suspendre le plan visant à réduire les pesticides va-t-elle permettre de résoudre la crise ? Est-ce souhaitable dans un monde où le réchauffement climatique rend la transition agroécologique indispensable pour les sols et la santé ? Selon Greenpeace, cela ne peut que servir les exploitations agro-industrielles.
« Si les sols sont en mauvaise santé et, du coup, de mauvais rendements, qu’il y a des sécheresses. Si la biodiversité chute. Bien entendu que cela touche les agriculteurs. Ils en sont les premières victimes. C’est pour cela qu’il doit y avoir des systèmes plus résilients. Mais il faut pour cela garantir un revenu décent », explique la porte-parole de Greenpeace sur les questions agricoles.
« Imaginez. On a des producteurs heureux. Qui ont les moyens de faire les mises aux normes pour la nature, le bien-être animal. Ce sont les premiers dépositaires qui vont se mettre en situation pour le bien commun. On améliore la santé, le bien-être animal, l’impact sur l’environnement, le consommer local… On a absolument tout à y gagner », ajoute Nicolas Chabanne.